Sauvez la forêt de Fontainebleau
LE SYNDRÔME DES ECOGUERRIERS DE RETOUR EN FORÊT DE FONTAINEBLEAU ?
Le 18 septembre 2025 devait être jugé au tribunal, celui qui se fait appeler Serge Mercier, un habitant d’Avon, pour des «dégradations » en forêt de Fontainebleau, qui fait suite à une plainte conjointe de l’Office National des Forêts et des Amis de la Forêt. On parle de 16 chefs d’accusation qui comprennent : l’apposition de ronds bleus, symbole d’une niche de protection des arbres en forêt de Fontainebleau, d’effacement de flèches en peinture pour marquer le cloisonnement lors des coupes d’arbres, de dégradations de barrières forestières, etc. Ces faits se seraient déroulés dans le secteur du Rocher d’Avon, partie du massif située le long de la D606, entre l’Obélisque de Fontainebleau et le rond-point de Montmorin. Finalement l’affaire a été renvoyée et sera jugée le 18 mars 2026.
Serge déclare haut et fort « qu’il n’a peint de que des ronds bleus, car il ne supportait plus de voir des beaux arbres tomber sous les tronçonneuses. Ils étaient loin d’être dépérissants ».
Pour ces faits commis depuis de longs mois, il a été placé en garde à vue fin avril 2025, au commissariat de Nemours, pendant 3 H 30. Une situation « insupportable » pour lui, qui l’a conduit, affirme t-il, à l’hôpital, après « un état de tension, hors norme. » Il se dit « scandalisé. Je ne voulais que dénoncer les trop fortes coupes qui ont lieu chaque hiver en forêt de Fontainebleau. J’ai eu l’impression d’être pris tout de suite pour un terroriste. Je n’ai fait que de la peinture, c’est tout!» Apparemment l’ONF et les AFF lui réclamerait 10 000 euros de dommages et intérêts. Cette situation n’est pas sans rappeler une époque très mal vécue par les forestiers et la direction de l’ONF, de 1994 à 2000 environ, avec les agissements des célèbres Eco-guerriers dont le groupuscule avait été baptisé : « Bleau-Combat ». A l’époque, plusieurs jeunes et moins jeunes claquent la porte d’une non moins célèbre association locale. Ils dénoncent les coupes rases qui continuent en forêt de Fontainebleau. Ils vont créer d’autres associations, dont un Comité pour un parc national, comité pour l’avenir de la forêt, Objectif Nature…But : mettre fin à la Futaie régulière qui va se poursuivre jusqu’en 2015 environ, avant la publication du nouveau plan d’aménagement de la forêt, 2015-2035.
Dans les années 90, c’est un tout autre tournant que prennent les éco-guerrier. Pendant des mois, ils vont tour à tour, saboter des engins d’exploitation forestière, planter des clous dans les arbres pour empêcher leur abattage, arracher 6400 plants de cèdres, symbole à l’époque d’une «artificialisation » de la forêt, tracer des tags sur les maisons forestières et notamment celle du directeur de l’ONF de l’époque, etc. A l’époque, en tant que reporter au journal Le Parisien, j’ai couvert ces faits. Le Monde évoque alors le terme même de « guérilla » contre l’ONF. De l’autre les éco guerriers dénoncent « une gestion destructrice des paysages et de la biodiversité ». Nul accord n’’est possible. En Décembre 1994, trois d’entre eux sont interpellés et placés en détention provisoire pendant les vacances de Noël pendant 21 jours, à Fleury-Mérogis. Ils sont ensuite jugés au tribunal de Fontainebleau.
A l’époque, deux thèses s’affrontent dans le prétoire. D’un côté les avocats de l’ONF et le procureur de la République, qui lui estime : « les prévenus ne sont pas des défenseurs de la nature mus par un idéal mais des délinquants au comportement dangereux. Ils sont manipulateurs et malhonnêtes ! » Mais les écoguerriers sont défendus par un ténor du barreau, Maître Henri Leclerc (président de la ligue des droits de l’homme). Ce dernier souligne « l’opacité de certaines administrations, sous entendu l’ONF, doublée d’une conception marchande du service public, qui a interdit le dialogue et poussé à l’utilisation de la violence. Ces actions sous-tendent une responsabilité : la responsabilité d’une société qui n’écoute pas ses citoyens. Car leurs actions, jugées violentes, et certes inadaptées et inutiles sont quelque part, citoyennes. » Les éco-guerriers seront condamnés à du sursis.
Depuis vingt ans, hormis la dernière tentative de créer un Parc National à Fontainebleau en 2009, les écologistes avaient plutôt baissé la tête. Mais ces dernières années, sur Facebook par exemple, les critiques continuaient sur deux sujets : la chasse et les coupes de bois à Fontainebleau. Toujours et encore. Avec des associations dites traditionnelles et d’autres plus lucides et critiques.
La révolte s’est quand même réveillée, étrangement pendant le Covid, à l’hiver 2021. A l’époque, une coupe assez franche révolte les Samoisiens et bien d’autres, car elle est jugée comme défigurant le paysage de l’entrée de Samois sur Seine ( village près de Fontainebleau). Un lieu de promenade habituel où l’on peut admirer de vieux arbres élégants. Un collectif est créé et une pétition rassemble près de 30 000 signatures sur internet. Point aigu de cette coupe, le bûcheronnage d’un chêne multi-centenaire, en bord de route et muni d’un point bleu dit officiel des AFF. Et c’est apparemment à partir de cet événement que semble démarrer un phénomène qui ne va cesser de s’amplifier au cours des années : la multiplication de faux ronds bleus, en signe de protestation contre les coupes. Une sorte d’éco-terrorisme artistique, plus feutré signifiant : je ne suis pas un rond bleu dit officiel, mais je veux défendre les arbres. Halte là, bucheron, retiens un peu ton bras ! Mais c’est une action qui ne plaît pas. Ni à l’ONF, on l’expliquera plus loin pourquoi, ni à certains monopoles désuets d’autre part.
Mais tout d’abord, essayons d’expliquer ce mystère des points bleus. L’histoire des points bleus constitue un symbole assez original mais aussi étrange et ambivalent de l’histoire de la forêt de Fontainebleau, de l’exploitation forestière et du monde associatif. QUE L’ON SOIT CLAIR, IL NE S’AGIT PAS D’UNE ATTAQUE GRATUITE, MAIS SI L’ON NE JUGE QUE SUR LES APPARENCES, ON NE VERRA PAS LES CONTRADICTIONS D’UNE GESTION D’UNE FORÊT QUI EFFECTIVEMENT DÉCHAÎNE LES PASSIONS depuis le 19ème siècle. SÛREMENT ET TOUT SIMPLEMENT PARCE QUE CETTE FORÊT MÉRITE LE MEILLEUR. ET DISONS LE CLAIREMENT, LE CHEMIN SERA ENCORE LONG POUR UNE PROTECTION IDEALE ET COMPLÈTE DE CE MASSIF.
Les points bleus sont décernés par le Groupe des Arbres Remarquables de l’association des amis de la forêt. Des bénévoles méritants bien sur et qui peut-être ignorent que la médaille a son revers. L’idée, au départ est bonne : protéger certains arbres, notamment pour leur rare élégance, leur âge avancé ou leur rareté biologique ou leur originalité de forme. Actuellement on compterait environ 1250 arbres qui possèdent un rond bleu. C’est une sorte de tradition, de protection qui « pourrait » découler d’un certain combat écologique qui a démarré au XIXème siècle. Rappelons que ce sont les peintres de Barbizon d’abord, qui en 1861 vont obtenir le classement de quelques 1000 hectares du massif, comprenant de nombreuses majestés arbres. On nommera cela une Réserve Artistique. Le premier mini parc national au monde, bien avant celui de Yellowstone créé officiellement en 1872. Un exemple de classement qui servira de référence en Europe et dans le Monde. Puis ce fût Denecourt, le créateur des sentiers bleus (de plus en plus fréquentés et dégradés d’ailleurs) qui désignera les plus belles cîmes, par un numéro. Les beautés sylvestres se nommaient : le Nid de l’Aigle, Le Charlemagne, le Roland. C’est aussi ceux que l’on voit sur les si nostalgiques cartes postales anciennes. Des sites souvent accompagnés de buvettes, où le touriste bourgeois venu de Paris, pouvait se rafraîchir et admirer les géants d’une « forêt Monument » comme le soulignait Victor Hugo. Après Denecourt, le sylvain Charles Colinet continua cette œuvre de mise en valeur des beautés arbres et rochers, en liaison avec les forestiers des Eaux et Forêts.
Une autre époque. Quand on sait que vers 1870, on comptait 100 000 visiteurs par an. Et maintenant entre 7 et 13 millions de visites. Le surtourisme menace grandement la forêt dans une quasi indifférence de ceux qui la martyrisent.
Cette tradition de signaler « les arbres monuments » se renforce en 1969, sous l’égide de Xavier de Buyer, chef du centre 0NF de Fontainebleau. Il réclame auprès des associations, une liste des arbres dont le conservation serait souhaitable pour différents motifs : esthétique, scientifique ou historique. Il donna lui même l’exemple en traçant un rond noir de dix centimètres de diamètre sur des sujets qu’il aimait bien : chênes du Bas-Bréau à Barbizon, Dormoir du Lantara, hêtres en bouquet, etc. Des membres des AFF entreprirent ensuite un travail de reconnaissance des arbres remarquables : localisation, circonférence, état sanitaire. A l’époque c’est près de 700 arbres qui reçoivent le label dit protecteur, ce rond bleu dit Denecourt, autorisé par l’ONF, de 8 cm de diamètre. Actuellement ils sont environ 1250, selon une récente liste. Sur le terrain ce sont des courageux bénévoles (ceux qui bossent gratuitement!) qui sont chargés de repérer et marquer ces arbres dits prestigieux. C’est un monopole offert à l’association. Nous y reviendrons. L’association ARBRES, sur sa carte des arbres remarquables y a apparemment juste noté le fameux chêne bonsaï du rocher Canon.
Mais revenons donc en arrière, au printemps 2021. A cette époque, en réaction à une coupe très marquée à Samois et à l’abattage du vieux chêne à rond bleu, un ou plusieurs commandos se mettent à peindre des ronds bleus partout. Sur des gros chênes bien sur, mais bien d’autres arbres également. Enfin partout, comme une révolte sans fin. Il semble qu’il y a un signe symbolique évident de la protestation massive contre des coupes très contestées.
Sachant que les ronds rouge sont le symbole de l’abattage, les vrais ronds bleus seraient symboles de protection…ou presque d’une minorité d’arbres. Pour les initiés, les faux ronds bleus sont reconnaissables car plus petits que les dits authentiques (60 mm de diamètre) et réalisés vite faits à la bombe. Les dits vrais ronds bleus sont réalisés comme suit.
On arase un peu l’écorce, puis on dessine le rond au pinceau, avec un pochoir. Peux t-on dire qu’il y a dégradation des arbres ? Non bien sur.
Mais bref, depuis quatre ans, les faux ronds bleus se propagent comme une vidéo virale sur les réseaux. On les voit partout, partout. Quelquefois, certains chemins forestiers ressemblent à une galerie d’exposition de ronds bleus. Un nouvel art contemporain ?
badaboum, crac boum hueee. Dans un article publié voilà quelques mois dans un journal dit local, les membres du GAR (groupe des arbres remarquables des AFF) se confient dépités. « On pense que les auteurs veulent protéger les arbres, mais cela donne l’effet contraire, car il devient plus difficile d’identifier les vrais ronds bleus ! » C’est peut-être le but non ? !!!!!
Jusqu’à présent, les arbres dits remarquables n’étaient pas géo localisés. C’est apparemment fait. En attendant un groupe de très courageux bénévoles a essayé patiemment « d’effacer les faux ronds ». D’après une rumeur vérifiée, plusieurs milliers de faux ronds bleus auraient été effacés. En les recouvrant de peinture grise. Mais le commando faux ronds bleus est têtu. Et des faux ronds bleus s’installent à côté des faux repeints. En gris. Un gouffre sans fin, qui frise le ridicule.
Un ridicule qui vient percuter l’image de toutes ces coupes de bois si destructives des années 70-2000 qui ont en partie détruites beaucoup d’écosystèmes forestiers. D’où notamment la mauvaise repousse en régénérescence naturelle ou artificielle. Alors ces ronds bleus s’apparentent ils à un certain vandalisme ou pire à de l’éco terrorisme ? On risque des amendes résultant du code forestier : oui. Pour s’être armé d’un pinceau ou d’une bombe de peinture. Soit.
Mais les vandales qui ont fait un graf géant aux gorges de Franchard, où sont ils ? Quelle amende ? Et c’est beaucoup plus grave. Les grimpeurs qui sur utilisent la magnésie et dégradent les chaos rocheux. Une amende ? Les vététistes trail qui s’amusent dans les réserves biologiques et dégradent la biodiversité. Une amende ? Les chasseurs qui pénètrent en groupe dans les mêmes réserves biologiques. Une amende ? Ceux qui vandalisent les gravures rupestres ou des carriers. Une amende ? Il serait bon de punir plus sévèrement les dégradations ordinaires, celles qui dégradent au quotidien l’intégrité des paysages de la forêt (voir l’actuelle destruction du sentier des 25 Bosses dans les Trois Pignons).
Alors l’époque des ronds bleus et du monopole, de la belle carotte a une association serait-elle dépassée? Peut-on parler de tradition surannée. Les collectifs de ceux qui aiment vraiment la forêt, pensent que tous les arbres sont remarquables et forment une seule et même famille.
Bien sur, il faut penser aux forestiers qui sont chargés de gérer leurs parcelles. Ce virus des faux ronds bleus perturbent leur travail. Ils le disent haut et fort. « Quand nous procédons au martelage (NDLR : mise en place des marques rouges et du sceau de l’Etat), toute intervention extérieure va bouleverser notre travail. Nous avons été plusieurs fois obligés de refaire la procédure. Ce genre d’intervention n’est pas acceptable » souligne certains salariés de l’ONF. Au dessus de Thomery, l’hiver dernier, d’autres écologistes avec le sigle d’Extinction Rebellion, auraient utilisé une disqueuse pour effacer les sceaux de l’Etat, pour brouiller les pistes, voire empêcher la coupe. Une enquête serait en cours également à ce sujet.
Mais l’humour écologique n’a pas de limites. La rumeur, vérifiée sur le terrain, montre que certains ont décidé de couvrir non pas des ronds bleus, mais des ronds rouges. Les mêmes ou d’autres utiliseraient une peinture dite couleur écorce, pour recouvrir les ronds rouges et ainsi retarder la coupe de beaucoup d’arbres remarquables comme des vénérables chênes. C’est à dire les quelques et rares séculaires qui subsistent dans le massif. Bientôt, le public ne verra que des arbres jeunes. Les plus anciens ne verront plus leurs cimes grimper jusqu’à 30 mètres ou plus. Car par manque d’humidité (disparition du sous-étage, assèchement du massif, pompage des nappes phréatiques, enrésinement et réchauffement climatique), à cause également de la pollution (ozone, protoxyde d’azote : gaz de décomposition des produits chimiques issus de l’agriculture) la séve ne pourra s’élever très haut. Les chênes ou les hêtres seront moins gros, peut-être moins élégants, moins géants qu’ils étaient jusqu’à peu. La forêt a peut-être également atteint la fin d’un cycle, comme notre humanité. Mais la nature reprendra toujours le dessus. Pas l’être humain. Adieu ronds bleus, ronds rouge, ronds beige, triangles chamois et autres marques artificielles et évanescentes.
De beaux arbres, on peut encore en contempler : à Barbizon, au rocher Canon, près de Bourron, en bordure des réserves biologique intégrale mais cela devient rare, très rare.
Alors allez découvrir 3 géants chênes encore visibles en bord d’un chemin. Je les ai baptisé les 3 Mousquetaires, car ils sont en bande, au dessus de la mare aux fées, près de Bourron Marlotte (il faut chercher un peu, sinon c’est trop facile. ILS ONT SÛREMENT PLUS DE 400 ANS !!! (Ce n’est pas dans la réserve Biologique intégrale inaccessible.) Ils mériteraient une salve d’applaudissement, une statue, un poème (à vos crayons), une danse, des non volées de bois vert, mais des envolées de mots doux, doux mais résistants comme les Corses. Vive les arbres vieux qui ont une histoire à raconter. Vive tous les arbres ! Non à l’hypocrisie !
Pascal Villebeuf
Reporter